En 1850, la conscription (l’enrôlement dans l’armée) s’effectuait par tirage au sort d’un numéro, en mairie. C’est l’importance du nombre obtenu qui décidait qui devait se préparer à partir.
Et le service militaire pouvait durer de nombreuses années !
Les plus malins (ou les plus fortunés) trinquaient sans limite avec d’autres en essayant eux-mêmes de rester lucides. Cela leur permettait ensuite de “troquer” leur place et d’obtenir une signature de remplacement pour le grand voyage, quelquefois sans retour.
Quelle moralité !
Un jour de tirage au sort, un jeune homme qui ne manquait pas d’humour, décida de se présenter à la mairie en habit noir et chapeau haut de forme orné d’un ruban vert, couleur de l’espérance. Cette curieuse et amusante initiative fut tout naturellement reprise les années suivantes.
C’est ainsi que se créa pour chaque décennie l’association interclasses, regroupant tous ceux qui le souhaitent, de toutes les générations, nés dans une année se terminant par le même chiffre que l’année en cours.
Aujourd’hui la fête se poursuit toujours dans la très bonne humeur, mais heureusement, l’objectif n’est plus d’offrir un billet pour les grandes vacances, mais de favoriser ou de conforter les liens amicaux entre des générations différentes qui ont tant de choses à s’apporter mutuellement.
Si vous avez du courage, ci-après l’histoire plus précise et plus complète :
La fête des conscrits va au delà du folklore, c’est la renaissance de tous les souvenirs, mais aussi la fête de l’amitié et de la solidarité entre les générations.
Un simple petit numéro :
Sous le second empire, deux jeunes gens natifs de Villefranche, qui s’en allaient tirer au sort, se présentaient devant les autorités militaires en habit noir et en gibus avec un ruban vert, couleur de l’espérance, pour solenniser l’évènement, ou pour le brocarder. L’année suivante tous les garçons de vingt ans qui devaient accomplir cette formalité adoptèrent la même tenue.
Un peu plus tard, sous la troisième république, les hommes de quarante ans s’associèrent à eux pour célébrer l’anniversaire de leur propre tirage et des autres.
Explication du tirage du sort : en 1798, la loi Jourdan institua la conscription qui imposait à tous les hommes le tirage pour le conseil de révision et éventuellement le service militaire.
Au début de l’année, dans toutes les villes de France, les garçons d’une même classe d’âge, se voyaient fixer leur destin par un simple numéro puisé dans une frangée de tricolore. Que le choix fût heureux et le jeune homme était libéré de toute obligation militaire, que la main fût malchanceuse et il partait pour sept ans, du moins jusqu’à la fin du second empire.
N’est-ce pas un terrible loto qui pouvait rapporter gros ?
A cette époque s’ajoutait à l’injustice du hasard l’inégalité sociale. La loi permettait à ceux qui en avaient la possibilité de payer un remplaçant. Les riches avaient communément recours à ce moyen. Pour les autres, les compagnies d’assurance offraient des garanties aux pères de famille qui fournissaient un remplaçant à leur fils malheureux.
Les gros boutiquiers et les paysans aisés, n’hésitaient pas à acquitter des traites annuelles très élevées pour se prémunir contre le risque du tirage au sort pour leur garçons.
Il en allait différemment dans le milieu ouvrier, les garçons avaient peu de chance d’échapper aux tristes rigueurs de l’arrêté.
Napoléon Bonaparte négligea d’abroger la loi Jourdan après la paix d’Amiens et il prit ensuite l’habitude d’y recourir pour compléter les effectifs de la Grande Armée.
La loi Jourdan fut abolie par le roi Louis XVIII après la chute de l’Empire, au grand soulagement de l’opinion.
Quand la loi de 1872, au début de la troisième république, décréta l’obligation du service militaire, le tirage au sort départageait toujours les futurs soldats. Le tirage au sort persista, encore, même après le vote de la loi de 1889, qui fixait uniformément la durée de l’incorporation à trois ans et supprimait les exemptions pour tous. En fait, le tirage au sort avait plutôt une valeur symbolique. Enfin, la loi du 21 mars 1905 abolit cette loi de 1889 en même temps qu’elle réduisait l’obligation militaire à deux ans.
En 1905, l’évènement était capital dans la vie d’un homme, le tirage au sort avait lieu en séance publique, dans le chef-lieu de canton, devant le sous-préfet assisté des maires de communes.
Les premiers numéros (les plus mauvais) étaient attribués d’office aux jeunes gens n’étant pas inscrits sur le tableau de recensement ou par suite de fraudes ou de négligences non excusées. Comme pour les élections d’aujourd’hui, après que les élus aient compté les numéros et s’étaient assuré que leur nombre correspondait bien à celui des appelés, le sous-préfet les déposait dans l’urne.
En cas d’absence motivée, chaque garçon pouvait se faire représenter par un membre de sa famille ou le maire de la commune. Il importe de noter que cette formalité ne concernait que les jeunes hommes qui avaient vingt ans dans l’année. Un numéro, un simple numéro décidait ainsi de sept ans de la vie d’un homme. Au petit matin, chacun était encore en droit d’espérer, à midi tout était consommé ; à la joie des uns répondait la tristesse des autres. ceux-ci en tout cas étaient exclus de la fête, certains n’auraient guère eu le coeur à l’ouvrage.
Voilà pourquoi les conscrits qui tenaient tant à célébrer publiquement leur entrée dans le monde des adultes avaient pris l’habitude de se réunir le dimanche qui précède le tirage au sort, comme pour conjurer le sort du lendemain.
Ce jour là, ils pouvaient une dernière fois se sentir égaux, surtout ils avaient le même âge et le destin ne les avaient pas encore séparés.
Tous logés à la même enseigne, impatients de connaître la décision de la fortune, à la fois remplis d’espoir et d’appréhension, cette peur qui leur tiraillait le ventre, il fallait bien la vaincre, en chantant, en buvant, en dansant toute la nuit.
A cette occasion, lors du banquet, les hommes revêtaient l’habit de cérémonie, complet noir et haut de forme, qu’on ne ressortait pas avant son mariage ou le baptême du premier-né.
Il ne faut pas chercher plus loin l’origine de la tenue du conscrit
Les garçons de 1850 – on peut l’imaginer après une nuit blanche – se rendaient au tirage au sort, sans avoir changé de costume.
Certaines personnes se rappelèrent qu’autrefois, les jeunes soldats arrivaient à la caserne en blouse bleue, soit de leur ferme soit de leur atelier. On disait “Tiens, voilà les conscrits”, au sens de “Voilà les bleus, voilà la bleusaille”.